Thursday, October 7, 2010

La réunification a influencé le destin de l’Europe

Brême et Berlin ont célébré le vingtième anniversaire de la réunification dans
la retenue. Aujourd’hui, 84% des Allemands approuvent cette «accélération
de l’Histoire» voulue par Helmut Kohl. Andre Wilkens explique comment cela
a changé l’Allemagne et l’Europe

Dimanche, l’Allemagne fêtait les 20 ans de sa réunification. Une réunification approuvée par 84% des Allemands, selon un sondage publié par la télévision ZDF. A Brême, le président Christian Wulff en a profité pour évoquer les nouveaux défis, en particulier celui de l’immigration musulmane: «Bien sûr, la chrétienté fait partie de l’Allemagne, bien sûr le judaïsme fait partie de
’Allemagne. Il s’agit là de notre culture judéo-chrétienne. Mais à présent l’Islam fait également partie de l’Allemagne». Une seconde cérémonie était organisée en soirée à Berlin avec la chancelière Angela Merckel (qui a déclaré à la presse que la réunification a bouleversé sa vie: «soudain je pouvais faire toutes sortes de choses qu’auparavant je ne pouvais imaginer») et l’ex-chancelier qui présida à la réunification, Helmut Kohl. Au moment de la chute du mur de Berlin, Andre Wilkens avait 26 ans. Né en ex-Allemagne de l’Est, il dirige actuellement le Centre pour les Affaires internationales de la fondation Mercator. Ex-directeur de l’Institut Open Society de Bruxelles, une fondation de George Soros, il jette un regard nuancé sur l’Allemagne réunifiée et ses conséquences pour l’Europe.

Le Temps: Le ministre-président du Brandenbourg, Matthias Platzeck, compare la réunification
allemande à un «Anschluss». Le vocable n’est-il pas l’illustration d’une amertume persistante au sein de la partie orientale de l’Allemagne?
Andre Wilkens: Juridiquement, Platzeck a raison. L’Allemagne de l’Est a été annexée en vertu de l’article 23 de la Loi fondamentale de la République fédérale d’Allemagne. Tout était déjà en place pour 17 millions de citoyens est-allemands: le système social ouest-allemand était une évidence. Ce fut une offre publique d’achat non pas hostile, mais amicale. J’aurais souhaité qu’on consacre plus de temps à imaginer la nouvelle Allemagne en rédigeant une nouvelle Constitution qui rende compte du processus de réunification de deux entités différentes. On a finalement repris la Loi fondamentale de RFA de 1949. Il y avait de bonnes raisons d’aller très vite. En 1990, le chancelier Helmut Kohl a jugé nécessaire de profiter d’une fenêtre d’opportunité pour réaliser rapidement l’unité allemande. Moscou avait donné son accord et était prêt à retirer ses troupes du territoire est-allemand. Les alliés, malgré des réticences, donnèrent aussi leur accord. Deux ans plus tard, sans le climat émotionnel de 1989 et de nouvelles priorités internationales, une réunification aurait été beaucoup plus dure à réaliser.

– Certains avancent que la réunification a coûté quelque 1500 milliards d’euros. Comment évaluezvous la reconstruction de l’ex-RDA?
– Le processus n’est pas achevé. Les gens ont rapidement pu accéder à un certain confort matériel, s’acheter une voiture. Mais cette phase positive a été ternie par la perte d’un emploi. Les transferts financiers considérables en direction de l’ex-RDA en matière de retraites, de prestations sociales, ont été appréciés. Mais ils furent en grande partie improductifs. Ils le sont toujours. Les personnes âgées de plus de quarante ans en 1990 ont eu des difficultés d’adaptation. Je me demande si on n’aurait pas pu mener le processus différemment. Au plan économique, on a adopté le principe de la destruction créatrice. Le cours 1-1 (1 Deutchemark pour un Ostmark) adopté à l’époque était totalement irréaliste. Cela a littéralement cassé la RDA. La Pologne et la Tchécoslovaquie avaient privilégié une adaptation plus progressive à l’économie de marché et à la concurrence. En ex-RDA, psychologiquement, cette phase fut dure. Je dois pourtant admettre que ce processus de destruction et de reconstruction a permis à certaines régions de la partie orientale, comme la Thuringe ou Jena, de sauter certaines
étapes classiques du développement. Elles font aujourd’hui prospérer des entreprises par exemple dans les secteurs des nanotechnologies ou de l’énergie solaire. Soyons réalistes: ce processus s’est déroulé de façon pacifique. Il aurait pu déraper à tout moment.

– Les experts ont longtemps dit qu’il faudrait des décennies pour que les ex-Allemands de l’Est
changent de mentalité.
– Tout le monde a dû évoluer. Les Allemands de l’Est l’ont fait du jour au lendemain. J’ai dû soudain contracter une assurance maladie et payer des impôts. Tout cela a été très brutal. Les Allemands de l’Ouest n’ont pas été confrontés à de tels changements. Mais ils ont néanmoins aussi dû s’adapter à la mondialisation. Aujourd’hui, le problème d’adaptation reste une question générationnelle et géographique.

– La réunification, c’est aussi le transfert de la capitale de Bonn à Berlin. Un symbole fort?
– Cette décision fut très importante. Il n’était pas seulement question de faire d’une ville qui fut déjà une capitale dans l’histoire la capitale de l’Allemagne réunifiée. Ce fut aussi une manière de réunifier les deux parties de Berlin et surtout d’opérer une ouverture du pays vers l’Est. Un fait déterminant dans l’optique de la reconstruction de l’ex-RDA. Le changement a eu un impact politique. De ville provinciale (Bonn), la capitale allemande est devenue une grande ville (Berlin). Cela a altéré la politique allemande qui est devenue moins provinciale. Même au niveau international.

– Un sondage montre que 79% des Polonais pensent que la réunification allemande a profité à
l’Europe. On est loin du scepticisme britannique, français et polonais des années 1990…
– Je m’en réjouis. A l’époque, le scepticisme était compréhensible et il a incité l’Allemagne à agir avec prudence. Helmut Kohl a toujours inscrit la réunification allemande dans le cadre de la réunification de l’Europe. Il n’était pas question de créer une Europe allemande, mais une Allemagne européenne. Réunifiée, l’Allemagne a exercé une influence très positive sur le continent en provoquant de grands chamboulements à l’est, l’extension de l’Union européenne à l’est et l’intégration économique par la création de l’euro. Il y a pourtant des signaux qui m’inquiètent.

– Lesquels?
– Comme l’Allemagne est politiquement stable, économiquement prospère et qu’elle joue à nouveau un rôle sur la scène internationale, une minorité d’Allemands se dit que l’Europe n’est plus si importante. On l’a vu lors de la crise grecque. Il est donc essentiel que les partenaires européens continuent de mettre les Allemands devant leurs responsabilités européennes.

– La réunification a-t-elle modifié les relations franco-allemandes?
– L’Europe était au centre des préoccupations de Helmut Kohl et François Mitterrand. Ils ont tous deux accompagné la réunification. Aujourd’hui, les relations entre Berlin et Paris sont au plus bas, pour des raisons personnelles avant tout. Mais l’Europe a aussi changé. La Pologne est devenue un membre important de l’UE. Une Europe à 27, formée de petits pays, ne peut plus être tributaire du seul moteur franco-allemand.

LeTemps.ch «La réunification a influencé le destin de l’Europe»
Par Stéphane Bussard, lundi 4 octobre 2010

No comments: